jeudi 6 décembre 2007

Proposition diluvienne

De la mythologie à l’histoire, de l’ethnologie à lamétéo en passant par la littérature… Dans son Dictionnaire de la pluie paru aux éditions du Seuil (nov 2007), Patrick Boman, membre éminent du labo, compile avec bonheur les histoires de pluie.

A la lettre B comme « Bouvier » ou« Bromfield », vous trouverez par exemple…

« Depuis que le silence n’est plus le père de la musique depuis que la parole a fini d’avouer qu’elle ne nous conduit qu’au silence les gouttières pleurent il fait noir et il pleut »
Début de La Dernière Douane, poème de Nicolas Bouvier

« Ses vêtements de toile collaient à ses membres sveltes ; il les enleva et resta nu, à contempler le déchaînement de l’ouragan. Les branches des manguiers s’entrechoquaient, noires contre le ciel sillonné d’éclairs, tandis que l’eau se déversait à flots surl a terre assoiffée. Demain, tout serait redevenu vert, miraculeusement, grâce à la mousson. Ransome descenditd ans le jardin et, longtemps, laissa la pluie fouetter sa peau. Il lui semblait renaître. Toute lassitude avait disparu de son âme. »
Louis Bromfield, La Mousson

Les participants au labo ont également fait pleuvoir leurs textes. Des textes où la pluie n'apparaît pas seulement comme un décor, mais comme un acteur à part entière l’histoire.

Les laborantines


PLUIE DANS LA TETE

La pluie le réveille brutalement. Des trombes d’eau s’abattent sur son lit, cinglant son corps et son visage comme les lanières d’un fouet. Après un temps d’incertitude et de réflexion, il finit par se demander comment un tel phénomène est possible. Il se souvient de s’être couché dans sa chambre la veille au soir et, lui semble-t-il, de s’être endormi presque aussitôt. Il pense qu’au cours de la nuit de violentes rafales de vent ont dû soulever la toiture de sa maison, permettant ainsi à la pluie de pénétrer dans sa chambre. Il parvient à redresser péniblement son buste. Cet effort physique le surprend, car il n’existe aucun tourbillon d’air dans la pièce qui puisse contrarier le moindre de ses mouvements. Il s’aperçoit que le lit flotte dans la chambre comme s’il était en pleine mer, ballotté par de légères vagues qui ricochent sur les murs blancs. Pourtant quelle n’est pas sa surprise, pour ne pas dire son étonnement, lorsqu’il se rend compte que le plafond de la chambre se trouve toujours là, au-dessus de sa tête, avec son lustre de guingois et ses moulures tarabiscotées. La pluie semble passer au travers, sans qu’il comprenne comment un tel phénomène est possible. Il pense, dans un premier temps, qu’il est en train de rêver. Mais la violence de la pluie qui fouette son corps lui paraît bien trop réelle pour n’être qu’un simple effet de son imagination. Il se résout donc à croire qu’il ne rêve pas. Il essaye d’appeler sa femme qui devrait normalement se trouver à ses côtés, à moins qu’elle ne soit déjà dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Mais aucun son ne sort de sa bouche. Il décide de s’allonger à nouveau dans son lit et tire le drap trempé sur son corps pour tenter de se protéger. En vain. Le niveau de l’eau monte assez vite dans la chambre. Il atteint déjà le sommet de l’armoire. Il comprend que dans peu de temps son lit va atteindre le plafond et qu’il n’aura plus alors aucun espace pour respirer. A moins qu’il se jette à l’eau, mais cette solution ne retardera que de quelques minutes l’échéance fatale. Il sait qu’il finira, de toute façon, par mourir noyé. Il devrait, en toute logique, crier et se débattre de peur, mais il refuse de céder à la panique, sans trop savoir pourquoi, car il n’a jamais brillé ni par son courage ni par sa détermination. La pluie redouble de violence. Les gouttes sont épaisses, et larges comme des mains ouvertes. Il a la douloureuse impression de recevoir un bloc compact de ciel sur la tête et la poitrine. Il ne parvient presque plus à respirer, comme si quelqu’un d’énorme et de très lourd s’était assis sur lui pour l’empêcher de bouger. Le lit, flottant toujours à la surface de l’eau verdâtre, touche enfin le plafond. Il lui semble entendre une voix de femme qui susurre à son oreille : « Je crois qu’il pleut dehors ! ». Il ouvre en grand sa bouche, comme s’il manquait d’air. Mais il n’a pas le temps de répondre. Sa tête heurte violemment le plafond. Elle est aussitôt écrasée comme si elle n’était qu’une fragile coquille d’œuf.

François Teyssandier


AVEC MOI, LE DELUGE

La pluie m'appelle et me ploie. Sous elle je me plais. Elle est ma belle, je la reçois. Elle m'abat mais je continue, je m'élève. Toujours elle m'a plu. Oui, martyr, je suis criblé. Ma peau se réveille. J'avais oublié que si bien dans l'espace j'occupais ma place. Luisant de joie, gorgé de la fraîcheur d'avancer. Un gars de ma trempe franchit sans frayeur les bourbiers. Illuminé des reflets de lune dans les lacs de flaques. Pas d'aversion pour l'averse ! Elle est dans mon camp. Me voici remis à flot. Dégorgé de mon inerte abri sec, je navigue vers le large. Tous feux éteints, je brûle de me jeter contre elle, fouetté, giflé. Amoureux transi. Enchanté par l'eau qui me donne salive. J'ai chaud, ma sueur s'évapore, insouciante, on se mélange. Nous sommes de la même eau ! Je l'ai toujours su. Transpirant, muet comme une carpe, je suis celui qui jamais ne s'essuie. Sans arrêt, je fuis. Pas dégoûté par ces gouttes, ces perles pour moi sacrifiées. On me tombe sur le dos, et alors ? Je ruisselle de la vie qui m'est donnée. Il pleut dans mes rêves, dans mes veines. Dans ces vaisseaux de mon espace, intérieur. La pluie m'habite. Et par mon sexe urinant, la voici encore qui arrose les petite fleurs du massif où je me cache. Aïe ! Une épine me pique. C'est l'époque des averses qui durent. Des jours diluviens où les hommes et femmes vont sous les toits et se taisent, amoureux enlacés, dans la moiteur et les baisers. Je préfère, amant prudent, me jeter à l'eau et au hasard y rencontrer celle dont la robe collée au corps me donnera l'envie d'une peau lisse, glacée, de statue élastique. Je la garderai à vue. Chaleureuse et vaillante, parfumée du plaisir de sourire au déluge. Violente, elle aura brisé l'odieux parapluie (cette chauve-souris triste, mécanique, bossue, tordue, maladroite). Elle n'écoutera pas mes litanies de pondéré paysan vosgien. Sauvage fillette en les murs de la Villa Médicis. Eh oui... La pluie vous réveille et vous révèle. Et les interdits sont levés. Tristement, les bâches s'alourdissent d'une eau qui sera croupie. Marigot pour batraciens affaiblis. La terre, volontaire, aspire la masse tombante, se permet de boire et resplendir. Pénétrable, elle comprend le don du ciel. Bénit l'eau qui l'encense et s'exalte, nuageuse de vapeur. Les rigoles apparues s'amusent, moquant les dangers de la pente. Jeunes serpentes cristallines, ondulantes, lézardes qui caracolent. Frétillant vers le torrent qu'elles adorent, elles vont y jouer la corrida, s'étourdir en tourbillon d'écume, boire le bouillon, se noyer dans la masse. J'y surnagerai en canoë-kayak, affolé, boussole folle, tourneboulé par le succès des eaux de pluie, riant de mes inoffensifs coups de rame. Homme-tronc, émotif, en cascade, emporté dans la valse furieuse de la gorge qui s'amuse. Ainsi je m'élance dans le mélange pour, assommé, me réveiller voguant sur le cours serein d'un fleuve très apprécié. Toute ma pluie sous moi me supportant dans ma victoire de survivant. Je réussirai bien à échouer quelque part, sur un banc de sable accueillant, étendu les bras en croix, face au soleil, qui me jugera. Lavé de tout soupçon, je me lèverai comme l'orage, gonflé à bloc, tonitruant, Italien d'Amérique devenu honnête et prêt pour le coup de foudre.

Viktor Ugo-Appas


LA REINE PLUIE

Je suis la pluie et je vous emmerde. Je tombe quand je veux et généralement, quand vous ne voulez pas. Je tombe quand c’est les vacances et que vous vous êtes enfin décidé à acheter la promo SNCF pour descendre sur la côte sud, je tombe alors avec fracas, une pluie diluvienne comme je m’aime et je vous interdis ainsi d’aller à la plage et de boire du pastis aux terrasses de café.
Certains été, je vous traque partout, de la Bretagne à la Provence en passant par l’Alsace et les Alpes, je peux vous déglinguer une saison touristique et une batterie de moral en quelques semaines d’été. Je tombe ainsi des jours durant sur vos juillet et vos août rien que pour avoir la jouissance de vous entendre dire et répéter dans les cages d’ascenseur ou devant les machines à café, ah quel été pourri, on n’a jamais vu ça depuis 1955 (ou 1948 ou 1992), ah ça y a plus de saison, c’est eux aussi, avec toutes les conneries… le trou dans la couche d’ozone, le réchauffement de la planète, la guerre en Irak, la Bruni avec le Sarko, etc. Vous avez une imagination et une aptitude à faire des connexions proprement inouïes dès lors qu’on vous arrose un peu trop longtemps les mois d’été, je pourrais vous écouter des heures et je m’en réjouis.
Je peux aussi ne pas tomber, me retenir des jours, des semaines durant, voir vos peuples les plus fragiles s’effriter sous le soleil et pleurer sur leurs plants de maïs ou leurs pieds de blé assoiffés. Et quand ensuite je tombe, c’est avec cet excès, cette avalanche meurtrière qui détruit tout, récoltes, maisons, routes et gens, j’envahis les terres, les rues des villes, super mousson qui ne sait plus se contenir et je vous vois alors, petits bâtons tendus vers le ciel debout sur le toit de vos maisons, sur les tôles qui flottent, le sommet de vos voitures qui surnagent dans le fleuve excédé, et je m’en réjouis, humains maudits.
Vous avez eu le roi Soleil, je suis la reine pluie, à mes heures aussi parasite que lui qui ne savait même pas faire pousser les légumes, car moi, au contraire de lui, quand je tombe bien, je donne la vie, et il se trouve que j’aime à faire ça aussi, donner la vie. C’est le pouvoir qui m’intéresse, alors entre mes mains, j’alterne ces deux sceptres, pouvoir de nuire et de détruire mais également pouvoir de faire naître, pouvoir qu’aucun roitelet ou présidentelet de la République ne possèdera jamais de par chez vous.
Je suis la pluie, la reine de la vie et de la mort, et je vous emmerde.

Marie Chotek