dimanche 1 avril 2007

Petite histoire de famille

Le labo reprend ces activités avec une contrainte mathématique, proposée par Gaël Octavia (http://goctavia.free.fr)

Au départ, il y avait les entiers : 1, 2, 3, 4...
Puis on a vite constaté qu’on ne pouvait pas tout calculer avec. Après tout, la moitié de quelque chose, le tiers ou les trois quarts, c'est très concret, ça existe aussi ! Alors, on a élargi la famille avec les rationnels (autrement dit : les fractions) : 1/2, 3/4, 50/837...
Le problème, c’est que les fractions ne suffisaient pas non plus. Si on dessine un carré de côté 1, sa diagonale vaut racine de 2 : ce n'est pas une fraction ! Et hop, la famille des nombres s’est encore élargie avec les irrationnels (dont font partie les racine de 2, racine de 3, etc.)
Ensuite, il y a eu le nombre Pi. Là encore c'est bien concret, Pi : c'est le périmètre d'un cercle de diamètre 1. C'est un irrationnel, mais d'une sorte encore différente : ni une racine, ni un produit de racines, ni une fraction de racines, … En fait, ce n'est pas un nombre algébrique, car il n'existe aucune équation algébrique (ces choses avec des x, des x puissance 2, des x puissance 3...) dont la solution soit Pi. On le qualifie de transcendant. Et hop : nouvel élargissement de la famille avec les nombres transcendants !
Jusqu'ici, les élargissements répondaient à la nécessité de mesurer la réalité. Mais qu'est-ce qui interdit de continuer à peupler la famille des nombres de manière arbitraire ? Et hop : on crée les nombres complexes ! Et hop : les quaternions ! Et ainsi de suite. Chaque fois, un nouveau"corps" englobe le précédent.
Et rien n'empêche d'aller encore plus loin… Oublions la famille et les corps déjà inventés. Imaginons un ensemble de toutes pièces, fixons-lui des lois et jouons avec (autrement dit, étudions les propriétés qui découlent de ces lois) en toute abstraction…

L'algèbre, c'est comme un roman. Les personnages n'existent pas et pourtant on s'attache à eux. Le roman a sa propre logique, qui n'est pas celle du réel mais que le lecteur comprend néanmoins, dans laquelle il finit par rentrer, à laquelle il se plie et qui finalement lui semble naturelle.

Vous nous avez raconté vos histoires de nombres et d'inconnu(e)s vous aussi, d'une rigueur mathématique :

Pi

Pi. Parce que j’étais rond. Avant qu’être obèse ne soit à la mode. Parce qu’une prof de maths m’a pris comme exemple, parlant de la circonférence de ma taille, spéculant sur mon diamètre et la distance radiale entre mon nombril et ma colonne vertébrale qu’elle plaçait, se permettant un peu de licence poétique, au centre. Ça a fait rire la classe et je suis devenu Pi. Pas tendre les amis. Mais c’est quoi un ami ?
x
Ça faisait longtemps cependant que ce n’était pas moi. Cela avait commencé avec le mauvais calcul d’un médecin. À sept ans, on m’a retiré les amygdales sous prétexte que j’étais souvent malade, ce dont je n’ai aucun souvenir. Dans les photos de mes premières années je suis mince, vif, souriant. Normal. Moi. Au réveil de l’opération j’avais la gorge écorchée, en feu, des croûtes de sang dans le nez, sur l’oreiller. Ils m’ont donné de la glace à manger. Je ne voulais pas manger de la glace.
+
Je ne détestais pas cette prof de maths, je suis sûr qu’il n’y avait aucune malice en elle. Elle était plutôt ailleurs, dans un monde de chiffres, d’équations, moins à l’aise avec les mots lorsqu’elle écrivait sur le tableau. Le mot miroir, elle l’écrivait toujours à l’anglaise, mirror. Si quelqu’un le lui disait, ça la perturbait énormément. Il lui était impossible de voir l’erreur ou de l’écrire autrement.
-
C’était comme s’ils m’avaient arraché quelque chose d’essentiel. Après l’opération, j’étais régulièrement malade et j’ai commencé à grossir. L’ancien moi devait sans doute se trouver à l’intérieur de ce corps modifié, mais je n’arrivais pas à le contacter. J’étais devenu son pendant négatif. En classe, je surnageais dans la moyenne. Tout effort m’essoufflait, alors je ne faisais plus d’effort.
+
La démonstration de la prof ne m’a pas rebuté, – j’étais déjà nul en maths, son abstraction me tentait, c’était un autre monde comme l’envers de celui où je me trouvais coincé dans mon corps boursouflé, j’aimais son vocabulaire et ses espaces étranges, mais je n’y comprenais rien – par contre elle m’a donné accès à une réalité dont je m’étais exclu. J’avais été personne pendant longtemps, je courrais derrière, je restais sur le bord, en retrait, le surnom Pi m’a permis de rentrer dans ma vie. On avait nommé un inconnu dans une équation, je savais que ce n’était pas moi, mais c’était enfin une entité que je pouvais assumer en parallèle avec la déception qui m’avait hanté depuis mon enfance.
/
Quand j’ai commencé à peindre, c’était instinctif, je donnais des titres mathématiques. Je peins les formes de ce que je ne comprends pas, je fais des équations avec les couleurs, j’explore des espaces impossibles où l’infiniment grand et l’infiniment petit se côtoient en dehors de toute notion d’échelle ou d’orientation. Je fais mes mathématiques à moi en m’inspirant d’une terminologie qui me parle tout en restant opaque.
+
Il y a peu de temps, j’ai reçu un courriel d’une fille qui était dans ma classe. Elle avait vu ma dernière exposition par hasard. Elle n’était pas sûre que ce soit moi, même avec la photo dans le press-book de la galerie – je ne suis plus rond comme avant, après le lycée j’ai réussi à prendre le dessus sur mon corps – et mon vrai nom n’apparaît pas sur la documentation. C’était une belle fille que tout le monde courtisait. Aujourd’hui, après deux divorces, elle vit seule avec sa fille, une étudiante. Nous avons pris rendez-vous et nous nous sommes raconté nos vies. Ça a fait un drôle de pli dans le temps.
=
Elle dit qu’à l’époque elle m’aimait beaucoup mais que j’étais toujours distant, elle ne se souvient pas de moi comme vraiment gros et elle trouve marrant que je signe mes tableaux Pi. Pourquoi avoir gardé mon ancien surnom ? Est-ce que je suis attaché à cette période de ma vie ? Je lui ai dit que non, car justement Pi m’aidait à mettre mes souvenirs en perspective, à établir une relation entre ce que je considère comme un faux passé et un vrai passé. Puis j’ai cité quelques phrases de définition pêchées dans des livres quand j’ai commencé à peindre. – Il n’existe aucune équation algébrique dont la solution soit Pi. – On le qualifie de transcendent. – C’est un irrationnel. Mathématiquement, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire mais finalement ça me va.

Derek Munn


Né sous X

Je suis né sous X. Mon géniteur présumé, honorable savant mais homme un peu distrait, n’a même pas pensé à me donner un nom. Tout émerveillé par ma venue au monde, de façon totalement inopinée semble-t-il, comme s’il m’avait conçu par hasard – mais sans doute est-ce le cas – il s’est réjoui de ma naissance en poussant des cris stridents dans son laboratoire et en divulguant, illico presto, à l’aide de tous les réseaux satellitaires qui existent de par le monde, ma brutale irruption dans la galaxie des nombres nouveaux.
Bien que très jeune, à peine quelques jours, je me sens déjà fort honorablement constitué. Ma précocité, évidente même aux yeux des profanes, m’enchante et me ravit. Sans doute, allez-vous trouver que je manque de modestie, mais dans le milieu parental qui est le mien, celui des sciences abstraites, ce défaut peut devenir très vite une qualité. Je n’ai donc aucune raison de rabaisser mes mérites, d’autant que je vais révolutionner de fond en comble le domaine des mathématiques. Voilà, le grand mot est lâché, et vous allez certainement comme moi vous extasier sur mes propriétés et qualités intrinsèques. Car je ne suis pas un nombre ordinaire, de ceux qu’une main plus ou moins adroite peut tracer sur une feuille blanche ou un tableau noir. Je n’ai pas d’apparence charnelle, si j’ose dire. Pas la moindre forme qui ressemble à quoi que ce soit d’existant. Je suis un nombre totalement irrationnel, aléatoire, non quantifiable et d’essence intemporelle. Je ne peux donc m’insérer dans aucun ensemble connu, voué pendant toute mon existence à une solitude irrémédiable. Mais peu me chaut ! Je n’aime pas vivre en groupe. Dépendre des autres, très peu pour moi ! Et je refuse qu’un lien, aussi ténu soit-il, me rattache à qui que ce soit. Par chance, mon géniteur présumé a eu la délicatesse de me faire savoir que je serais un nombre unique. Et que je n’aurais pas la moindre descendance, ne pouvant me reproduire par quelque moyen que ce soit (ni par coït algébrique ni par scissiparité structurelle). Unique, vous dis-je, forcément unique ! Ma venue au monde a déclenché de nombreux cataclysmes intellectuels dans le monde très fermé des mathématiques. Mais je peux affirmer, sans forfanterie, que j’ai contribué à changer la face de l’Univers. Jusqu’alors, vous en conviendrez, il était d’une décevante simplicité dans ses rouages les plus internes, n’est-ce pas ? Et je préfère ne pas m’attarder sur ses rouages externes aussi peu complexes que ceux d’une pendule à balancier ! Mon glorieux géniteur, récompensé par un prix Nobel de mathématiques spécialement crée pour lui, est parvenu, à la suite d’un travail intense et de multiples nuits blanches, à m’introduire au cœur même de l’Univers, comme un ver s’introduit dans une pomme pour la grignoter de l’intérieur sans que personne ne s’en aperçoive. Oui, je pense que l’image est exacte. J’ai grignoté, jour après jour, l’Univers jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une coque vide. Certains scientifiques ont affirmé que je n’étais, somme toute, qu’un virus de la pire espèce, mais ils se sont trompés du tout au tout, aveuglés par le dépit de ne pas m’avoir conçu. Je ne suis pas un virus parasitaire, de ceux qui pullulent dans tous les réseaux informatiques du globe. Allons donc, je suis d’une plus noble espèce, vous pouvez m’en croire ! Un véritable VIP dans le monde corseté des nombres. Mon géniteur a même affirmé, sur tous les continents, que j’étais LE NOMBRE, celui qui résume l’Univers tout entier et qui, en fin de compte, finira par le remplacer. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se produire. J’élimine, avec une détermination peu commune, les autres nombres, trop pauvres en défenses naturelles pour résister à mon pouvoir de destruction. J’ai déjà réussi à supprimer tous les nombres premiers qui ne servaient plus à rien. Je m’attaque à présent aux nombres décimaux, rationnels, réels et complexes. Du passé mathématique, faisons table rase ! D’ici quelques mois, je serai parvenu à mes fins. Rien ne résiste à ma voracité. Même la loi des grands nombres sera réduite en poussière. Une fois le travail accompli, je me retrouverai enfin seul. L’Univers m’appartiendra puisque je serai à moi seul l’Univers. Les enfants n’auront plus à apprendre les tables de multiplication, et les savants à mémoriser des théorèmes abscons. Mon génie aura soulagé les humains de tout ce qui encombrait inutilement leur esprit. D’ailleurs, je compte aussi m’attaquer aux humains. En fin de compte, ils ne servent pas à grand-chose. Sans eux, plus de tueries sanglantes ni de désastres écologiques. Alors, attendez-vous à disparaître un jour, mes amis ! Je ne vous dirai pas quand, bien sûr, mais inutile dès à présent de faire des projets d’avenir ! LE NOMBRE absolu et irrationnel que je suis va s’occuper de vous. Même si vous cherchez à vous barricader dans des abris anti-algébriques, vous n’échapperez pas à ma vengeance. Elle sera terrible, n’en doutez pas ! Car il s’agit bien de vengeance. Je vais détruire l’Univers pour une seule et unique raison. Parce que je suis un nombre né sous X. Je me retourne contre mon géniteur. Il faut bien tuer le père ! Voilà. C’est bête, avouez-le, surtout pour vous, mais c’est ainsi ! Même un nombre, aussi complexe et abstrait soit-il, peut avoir ses faiblesses, n’est-ce pas ?

François Teyssandier

Elle et lui

ELLEeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee découvrira-t-il au fond de la grotte ce rubis tant convoité ?
eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeedécidé à creuser le moindre ravin
si près eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeemineur assoiffé
si loin eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee d'or rose
alpiniste eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee qui brille
renversée renversante eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee juste
le regard accroché à la paroi à gravir eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee pour
parviendra-t-elle en tirant la langue à conquérir ce sommet? eeeeeeeeeeee LUI

ELLE est née en 70, LUI en 68. La belle moyenne en soixante-neuf mots !
Luc-Michel Fouassier