mercredi 2 janvier 2008

En prison

Le labo vous a propose une contrainte contraignante cette fois. Vos textes devaient s'intituler "en prison" et ne pas dépasser 10 phrases.

A perpète

Une relation étroite de sado-masochisme nous lie, ma prison et moi. Déjà, c'est moi qui ai choisi d'aller en prison. C'est même moi qui ai donné vie à mon geôlier qui se confond avec ma prison. Mieux encore, c'est moi qui le nourris, mon geôlier, et mon geôlier, ne sait même pas qu'il est ça, mon geôlier, qu'il est mon barreau et que je suis son barreau. Nous veillons l'un sur l'autre, et nul ne songe à faire appel pour obtenir révision de ce qui n'est pas un procès, mais un processus qui a conduit à sa naissance, qui a fait de moi une prisonnière consentante. Avec le geôlier, il y a l'heure de soleil, l'heure de la promenade, l'heure où il tète sa prisonnière avec des bruits terrifiants, l'heure des soins, l'heure de l'éveil, l'heure du sommeil. Pour cela, le geôlier exige que la prisonnière le berce inlassablement pour pouvoir s'endormir. Le geôlier sait-il instinctivement qu'une prisonnière a pour fonction de tenter de s'échapper? J'ai beau lui dire que nous sommes protégés par notre relation étroite de sado-masochisme qui fait que ni moi ni lui ne saurions nous passer l'un de l'autre, le geôlier se méfie : avant de s’endormir, il glisse un œil sous sa paupière pour vérifier que la prisonnière est bien toujours là... Et oui, la prisonnière est toujours là, elle le lui assure, et le lui répète, que quoiqu'il arrive, qu'on lui ouvre ou non la porte, parce que le geôlier est le fruit d'un crime d'amour, pour lui, elle sera là à perpétuité.

Marie Chotek

Prison

1 la pièce est plongée dans l’obscurité, assis à même le sol, recroquevillé dans un coin, tête reposant sur les genoux, tu entends un léger crissement qui se propage dans l’air, comme si un ongle raclait quelque part une surface métallique, 2 peut-être est-ce quelqu’un qui ouvre la porte, mais personne n’entre, semble-t-il, tu ne vois aucune ombre se découper sur le seuil, 3 pas le moindre rai de lumière ne vient heurter un mur, que ce soit de front ou en diagonale, l’obscurité est si froide et compacte qu’elle entre dans tes os, tu n’entends que quelques sons étranges, étrangers à ta langue, des mots indistincts et murmurés que l’oreille saisit à peine, comme s’ils venaient de l’intérieur des pierres, 4 à nouveau le silence, tu te lèves, rejoins un autre angle de la pièce, te rassieds à même le sol, d’un geste brusque, le poids du corps se dérobe sous tes jambes, 5 un peu de poussière voltige dans l’air, entre dans ta bouche ouverte, un goût de cendre se dépose sur ta langue, tu respires une odeur de suint ou de salpêtre, la porte se referme avec le même crissement d’ongle sur du métal, un cri résonne au dehors, s’étire dans l’espace comme s’il se propageait à travers ta mémoire, 6 qui peut crier, 7 et pourquoi ce cri, 8 tu pensais être seul en ce lieu, prisonnier de tes pensées, de tes rêves, 9 la pièce est un bloc de silence, 10 la nuit déjoue l’écriture du temps.

François Teyssandier